Speech Spidla: "Sociale bescherming en economische ontwikkeling in Frankrijk en Europa" (fr)
Vladimír Spidla
Membre de la Commission européenne, chargé de l'Emploi, des Affaires sociales et de l'Egalité des chances
Protection sociale et performance économique
Conférence européenne de l'ESIP « Performance économique et protection sociale »Paris, le 9 décembre 2005
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Directeurs,
Mesdames, Messieurs,
C'est un grand plaisir d'être parmi vous ce matin pour célébrer ensemble le soixantième anniversaire de la Sécurité sociale et réfléchir avec vous sur le lien entre nos performances économiques et notre protection sociale.
Le sujet que vous avez choisi résume, à lui seul, la tension qui est au cour de tous les systèmes sociaux: entre, d'un côté, l'idéal de justice et de cohésion sociale qui est au fondement des systèmes européens et, de l'autre, l'exigence de croissance économique et d'efficience de nos systèmes sociaux, sans lesquelles notre protection sociale ne peut pas se développer.
La construction progressive de la Sécurité sociale française est l'illustration même de ces liens très forts qui unissent croissance et protection sociale.
En France, la protection sociale s'est développée pas à pas, à mesure que grandissaient les ressources de la nation. Les principes ont progressivement gagné en effectivité. Universelle de droit dès mille neuf cent quarante cinq, la Sécurité sociale ne couvrait pourtant que les salariés et les fonctionnaires. Elle a ensuite intégré les étudiants, les artisans, les professions libérales, avant que la loi sur la Couverture Maladie Universelle ne généralise à tous l'accès à la santé, il y a six ans.
Ces progrès n'auraient sans doute pas été possibles sans l'évolution économique que nous avons connue. Mais l'économie est d'abord un moyen.
La Sécurité sociale n'aurait pas existé sans l'union des Français autour des valeurs fondatrices de la Sécurité sociale. Ces valeurs, affirmées par la Résistance, sont : la dignité de tout homme ; le droit à la santé pour chacun ; à la retraite pour les vieux travailleurs ; et à la solidarité pour les familles et pour tous ceux qui en ont besoin. Ces valeurs reposent sur la solidarité des Français face aux grands « risques » de la vie et sur une gestion paritaire du système par les travailleurs et leurs employeurs.
Le projet ne manquait pas d'ambition. Soixante ans plus tard, il est devenu réalité parce que les Français sont restés fidèles à leur idéal et que vous avez su construire pied à pied un système social, devenu un élément essentiel de votre modèle.
J'aimerais maintenant ouvrir une perspective européenne. Tous nos systèmes sociaux doivent aujourd'hui concilier la protection sociale avec la compétitivité. Mais, il me semble que, partout sur notre continent, c'est la qualité du système de protection sociale qui permet de résoudre l'apparente contradiction entre protection sociale et croissance économique.
Je ne veux pas sous-estimer les interactions négatives que l'un peut exercer sur l'autre : la protection sociale à tout prix peut étouffer la croissance ; et la croissance à tout prix peut détruire la protection sociale ; c'est clair. La réalité sociale est, cependant, plus complexe et il nous faut assumer cette complexité.
J'ai la conviction que la protection sociale est un investissement. Et plus encore : un investissement très rentable. Une population en bonne santé est une population dynamique. Des citoyens assurés contre les grands risques de l'existence sont des citoyens confiants.
Des enfants instruits seront des adultes éclairés, et des acteurs de la vie sociale et économique de leur pays. L'exclusion et la pauvreté constituent autant de gaspillages humains : des gaspillages de vies et de talents dont une société souffre, sans toujours bien le mesurer.
Nous sommes dans une économie ouverte, globalisée et en changement rapide ; c'est un fait. C'est d'ailleurs un fait dont les Européens sont les principaux acteurs, en tant que producteurs et consommateurs. Dans cette économie, la performance d'une entreprise va souvent de pair avec la flexibilité de ses actifs. Plus que par le passé, les travailleurs sont appelés à être mobiles ainsi qu'à se former en continu à de nouveaux métiers et de nouveaux savoirs. La protection sociale constitue précisément la condition de cette flexibilité.
Aucune grande économie ne s'est développée - et ne se développe aujourd'hui encore - sans protection sociale : l'Allemagne en mille huit cent quatre vingt, puis les Etats-Unis dans les années trente, en ont montré l'exemple. Aujourd'hui encore, les économies d'Europe les plus florissantes sont fréquemment celles qui dépensent le plus en matière de protection sociale : les premiers exemples, en sont la Suède et la Finlande.
Je vous ai dit ma conviction que la protection sociale était un investissement. Mais cette conviction n'est pas aveugle. Je ne conçois pas la protection sociale comme une boîte noire dans laquelle l'Etat devrait mettre toujours plus d'argent en attendant des résultats toujours meilleurs. Ma conviction est exigeante. Elle assume la complexité de la société et prend en compte la qualité et la performance des systèmes sociaux.
Aujourd'hui comme hier, le travail est la clef de voûte de notre protection sociale. En France, comme dans la plupart des pays européens, les institutions de protection sociale se nourrissent de cotisations qui influencent directement le coût du travail. C'est pourquoi nous ne pouvons nous désintéresser de l'efficience de notre protection sociale. C'est pourquoi nous devons tout faire pour mettre le travail au cour du système et récompenser l'effort à sa juste valeur.
Les progrès naissent de l'ambition et de l'ouverture d'esprit des équipes et des managers. C'est par les propositions et les expérimentations que, tous les jours, nos systèmes sociaux évoluent. Avant de dire non au changement nous devons nous dire : « pourquoi pas ? »
J'ai travaillé dans le secteur social de mon pays, à l'époque où celui-ci se reconstruisait. J'étais directeur de l'Agence pour l'emploi de la région de Jindrichuv Hradec, au sud-ouest de la Tchéquie. J'ai très souvent mesuré que l'implication et les ressources des équipes étaient capables de résultats qui dépassent toutes les attentes. Je me souviens plus particulièrement de la fermeture soudaine d'une grosse usine de bois. Les services de Jindrichuv Hradec ont alors immédiatement réagi en organisant des formations pour que les mille deux cent travailleurs puissent exercer de nouveaux métiers dans une usine qui venaient d'ouvrir. Sans formation, ces personnes seraient restées longtemps au chômage.
A la lumière de mon expérience, d'abord opérationnelle, puis politique, je voudrais dire aux jeunes qui se destinent aux métiers du secteur social la grande satisfaction que ces métiers au contact de nos compatriotes, et notamment les plus modestes d'entre eux, peuvent apporter.
Je voudrais aussi insister sur les responsabilités que ces métiers comportent. Des responsabilités humaines, avant tout. De considérables responsabilités budgétaires, également. En France, par exemple, les dépenses sociales représentent plus de cinquante pour cent de la dépense publique.
Les institutions de protection sociale ne marchent pas toutes seules. Elles sont le reflet du professionnalisme, de l'ardeur et de l'implication de leurs équipes. Et, c'est pourquoi il est si nécessaire que les agents qui y travaillent soient des personnels de grande valeur.
La Sécurité sociale française peut être fière de son bilan et n'a pas douter de la valeur de ses équipes.
Mais vous connaissez comme moi l'importance des chantiers qui l'attendent. Ce sont des chantiers communs à la plupart des systèmes sociaux de l'Union européenne :
Tout d'abord, le chantier de la modernisation pour préserver la compétitivité et - surtout - répondre aux attentes de qualité des citoyens ;
Ensuite, le chantier du vieillissement démographique pour gérer, dans les meilleures conditions, un phénomène avant tout heureux.
Indépendamment du vieillissement, la protection sociale française a ouvert le chantier de sa modernisation. D'ambitieux changements ont été engagés, depuis plusieurs années. Pour mieux respecter la dignité des personnes touchées par la maladie ou la dépendance ; pour renforcer l'accompagnement humain et individualisé des chômeurs ; pour améliorer les conditions d'accueil et de travail. Mais également pour renouveler les équipements ; pour mieux contrôler l'accès aux prestations ; pour mieux évaluer les compétences et mieux dépenser l'argent public. Parce qu'elles sont profondes, ces réformes mettent du temps à délivrer tous leurs effets.
Mais elles produisent des résultats qui montrent qu'elles vont dans le bon sens. Les économies ne sont pas seulement nécessaires pour équilibrer le budget. Elles le sont également pour trouver les ressources pour investir. Les investissements : dans l'informatique, dans de nouveaux équipements ou dans de nouveaux locaux sont indispensables à la modernisation. Mais ils naissent des économies que nous avons su faire...
Le second chantier de la protection sociale européenne, c'est le chantier du vieillissement. Le vieillissement est un défi un peu particulier : il est né d'un succès. Il faut se souvenir que, lorsque la Sécurité sociale a été fondée, l'espérance de vie ne dépassait guère soixante ans et ceux qui profitaient d'une retraite étaient alors une heureuse minorité. Il représente donc un progrès formidable dû, en grande partie, à l'essor de la protection sociale.
Le vieillissement est en même temps un défi pour nos équilibres sociaux. C'est un défi partagé. D'ici vingt ans, l'Union dans son ensemble devrait perdre environ vingt cinq millions d'actifs et gagner environ quarante millions de retraités, tandis que sa population totale baissera.
Grâce au dynamisme de sa démographie, la France s'en sort nettement mieux que la moyenne européenne. La politique familiale ambitieuse et globale que la France a développée depuis mille neuf cent quarante cinq n'est pas étrangère cette bonne santé démographique.
Pour autant, la France n'échappe pas aux difficultés. Son taux de fécondité reste en dessous du seuil de renouvellement des générations. Et, en France comme ailleurs, le vieillissement réduira le nombre de ceux qui travaillent ; et élèvera le nombre de ceux qui ont le plus besoin de protection sociale.
Les questions démographiques constituent désormais une priorité politique pour l'Union et ses Etats membres. Les chefs d'Etat et de gouvernement réunis à Hampton Court, il y a un mois, l'ont clairement dit. Il s'agit pour les Européens de répondre à trois interrogations :
Premièrement, quelle place faire à nos aînés ? Comment donner un emploi à ceux qui peuvent continuer à travailler, un rôle sur mesure à ceux qui souhaitent s'impliquer au service des autres, et une retraite digne à ceux qui souhaitent la tranquillité ?
Deuxièmement, quels obstacles rencontrent les familles qui ont ou veulent avoir des enfants ? Il s'agit, à la fois, de répondre à des attentes profondément légitimes de tous nos concitoyens et, en même temps, d'assurer notre avenir. Car une Europe qui cesserait de croître serait comme une grande étoile qui s'éteint.
Troisièmement, comment soutenir notre croissance économique ? La prise en charge du vieillissement sera inévitablement coûteuse. C'est d'abord sur un supplément de croissance que nous devrons compter pour assurer ces dépenses nouvelles.
Pour y répondre, l'Union a adopté la Stratégie de Lisbonne qui se donne deux grand objectifs : 1) élever la productivité grâce en augmentant les dépenses d'avenir ; 2) augmenter la population active en réduisant tous les obstacles au retour à l'emploi.
Il existe un véritable potentiel. Pour prendre un seul exemple : si la France avait le même taux d'emploi que la Suède, la part non financée de ses retraites s'en trouverait réduite d'un tiers.
J'aimerais, pour finir, vous dire mon ambition et mon espoir, pour l'avenir de notre protection sociale.
Je pars d'un constat simple. Le chantier de la modernisation, nécessaire aujourd'hui pour assurer la pérennité de notre modèle social et demain pour faire face au vieillissement, est un projet ambitieux et exigeant, mais c'est un projet accessible pour les Européens.
C'est aux Français qu'il revient de faire vivre les valeurs de la Sécurité sociale dans un futur qui sera plus complexe et moins certain. L'Union européenne est là pour les aider, pour soutenir et encourager leurs efforts en faveur de la solidarité et de la modernité.
La Sécurité sociale a soixante ans. Eh bien, je lui souhaite longue vie -en bonne santé.