Discours du Président Jean-Claude Juncker au Parlement du Monténégro
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
C'est à la fois un honneur et un plaisir de vous voir. Je suis content d'être là et je suis heureux d'être au Monténégro. C'est en fait ma première visite dans votre pays et on me dit que c'est un très beau pays, dont je ne vois pas les beautés du paysage parce que je suis transporté d'un bureau vers l'autre et donc je ne peux pas apprécier les beautés du Monténégro. Je voudrais avec beaucoup d'amitié saluer les citoyens de ce pays. C'est un petit pays - moi, Luxembourgeois, je suis un spécialiste des petits ensembles - mais c'est une grande nation. Et donc le Monténégro a raison d'être fier des performances qui furent les siennes au cours de l'histoire et notamment au cours de l'histoire récente.
Un Parlement, c'est en fait le temple de la démocratie, le lieu où on vient pour débattre, pour échanger, pour essayer de convaincre les autres de la justesse de ses propres arguments. Je ne peux donc que regretter l'absence d'une partie de l'hémicycle. Je n'étais jamais un adepte de la politique de la chaise vide, je suis un fervent partisan du dialogue politique parce que c'est au Parlement, lieu d'excellence de la démocratie, que les points de vue sont échangés, que le dialogue politique doit avoir lieu. C'est un lieu d'intersection et un lieu d'entente.
Ce dialogue politique interne est plus que jamais nécessaire alors que votre pays est déjà bien avancé sur la voie de son adhésion à l'Union européenne. Il est donc important que vous joigniez tous vos efforts, majorité et opposition, pour renouer le dialogue et le débat entre vous.
Parce que ce n'est pas le moment de perdre cet élan qui fut le vôtre au cours de cette dernière décennie. Au contraire, le moment est venu de donner un nouveau souffle, de rassembler l'ensemble des forces politiques et des forces vives de la société ainsi que tout le peuple derrière cette belle et grande ambition qui est la vôtre de rejoindre l'Union européenne.
Lorsque la Commission que je préside a présenté, en mars 2017, son Livre blanc sur l'avenir de l'Europe, j'avais décidé de ne pas présenter les vues définitives de la Commission mais d'offrir un choix, de soumettre à la méditation de tous les Européens plusieurs pistes.
L'Union européenne n'est pas seulement un grand marché. C'est d'abord une communauté fondée sur des valeurs. Le marché est important pour l'économie, les valeurs sont importantes pour la cohésion à l'intérieur de nos nations et entre les nations.
J'ai voulu donc lancer un processus qui permette aux Européens de déterminer eux-mêmes leur propre voie pour l'avenir, en donnant la parole aux Parlements nationaux, au Parlement européen bien sûr, aux gouvernements, à la société civile, bref aux citoyens.
Parce que l'avenir de l'Europe ne peut être que l'aboutissement d'un débat démocratique débouchant sur le plus large consensus possible.
Il en va de même de l'avenir du Monténégro au sein de l'Union européenne. Cet avenir c'est à vous de le bâtir. Il est entre vos mains.
Je voudrais, Monsieur le Président, redire devant votre Parlement ce que j'ai dit ailleurs. Lorsque j'ai pris mes fonctions en novembre 2014, j'ai dit qu'il serait de l'avenir de l'Europe ainsi qu'aucun pays candidat ne serait membre avant la fin du mandat de cette Commission. Je sais - et j'ai reçu beaucoup de lettres de votre pays, de vos concitoyens - que cela a créé une espèce de frustration, comme si j'avais exprimé un désamour intégral à l'égard des Balkans occidentaux et notamment du Monténégro. Mais dans les années qui viennent, l'Union européenne comptera plus que 27 membres. Et pour tous les pays candidats à l'adhésion, une priorité, une priorité absolue revient au respect de l'Etat de droit, de la justice et des droits fondamentaux.
Nous avons, nous Commission, récemment adopté notre Stratégie pour les Balkans occidentaux. Et en le faisant, nous avons traduit en des faits plus concrets la conviction profonde qui est la nôtre. La conviction profonde est que la place des pays des Balkans occidentaux, et notamment et surtout la place du Monténégro, est au sein et au milieu et au centre de l'Union européenne. Nous allons soutenir concrètement les reformes menées par votre pays dans les domaines où une coopération accrue est de notre intérêt mutuel et évidemment de l'intérêt du Monténégro.
Vous connaissez les six initiatives phare que nous avons développées dans notre Stratégie; je ne vais pas donc vous faire l'injure de vous les expliquer puisque vous lisez ça le matin, le soir et pendant la nuit. Mais ces initiatives phare, flagship initiatives comme on dit dans un mauvais français, traduisent la solidité de notre engagement à la perspective européenne des Balkans occidentaux.
En fait je ne devrais pas parler de perspective européenne mais plutôt de perspective d'adhésion à l'Union européenne.
Nous partageons en Europe, continent tragique pour le reste, le même territoire, la même histoire. Il s'agit, aujourd'hui comme hier, après les changements intervenus à l'Est de l'Europe, de réconcilier l'histoire et la géographie européennes. Notre présent nous lie chaque jour davantage. L'Union européenne est le plus grand partenaire commercial des Balkans occidentaux, avec en 2016 des échanges commerciaux qui se sont élevés à 43 milliards d'euros.
Sur le chemin vers l'adhésion, le Monténégro - c'est une évidence que de le constater - est plus avancé que d'autres et pourrait nous rejoindre, probablement, certainement, plus rapidement que d'autres.
A ce propos, on a beaucoup parlé d'une date, 2025. Il faut dédramatiser cette date. Il ne s'agit pas d'une promesse vide, il s'agit d'une perspective que je crois réaliste et crédible. Mais c'est un horizon. C'est une date indicative et ceux qui seront prêts le jour venu pourront adhérer.
Je ne suis pas venu chez vous, Mesdames et Messieurs les Députés, pour faire des promesses vides, ni pour faire la leçon, bien que l'Union européenne très souvent aime faire la leçon à l'ensemble de la planète. Je ne suis pas de ce genre.
Je ne peux pas vous indiquer la date d'adhésion du Monténégro, parce que je ne la connais pas, personne ne la connaît. Et elle dépend fondamentalement de vous-mêmes.
La stratégie met en place les moyens nécessaires pour donner une nouvelle impulsion aux réformes que vous devez entreprendre. Mais le résultat final vous appartient: il dépendra de vos efforts et du travail que vous aurez effectivement accompli.
Car notre politique d'élargissement n'est en rien modifiée. Le processus d'adhésion reste fondé sur le mérite propre de chaque pays candidat. Et chaque pays sera évalué, jugé, selon ses résultats propres.
De ce point de vue, je suis confiant. Non pas parce que je j'aimerais faire preuve d'un optimisme béat, mais parce que je suis un réaliste. Je regarde, j'écoute et je vois. Et ce que je vois dans ce pays m'impressionne et me conforte dans l'idée que l'ambition et la détermination des petits pays est inversement proportionnelle à la superficie de leur territoire. C'est un Luxembourgeois qui vous le dit, un spécialiste des petits ensembles. Nous sommes plus forts que les autres et donc il faudra le prouver.
Vous avez, vous, des nombreux atouts en main, à commencer par le plus précieux de tous, votre population, votre peuple, et notamment votre jeunesse. Une population qui est un vibrant symbole de la devise européenne, l'unité dans la diversité, diversité linguistique, diversité religieuse, diversité ethnique. Vous avez en plus de sérieux atouts économiques, notamment un potentiel à développer dans les secteurs de l'énergie renouvelable et de l'agriculture durable, ainsi qu'un tourisme en plein essor.
Vous faites preuve d'un dynamisme qui force l'admiration. En moins de 12 ans, vous avez parcouru un chemin à vrai dire, incroyable. Le 3 juin 2006, ce Parlement a proclamé l'indépendance du pays. Aujourd'hui le Monténégro fait partie des Nations Unies, du Fonds monétaire international, de l'Organisation mondiale du commerce et, depuis juin de l'année passée, de l'OTAN.
Votre parcours vers l'adhésion à l'Union européenne fut rapide: accord de stabilisation et d'association conclu avec l'Union européenne dès 2007, remise officielle de votre demande de candidature en 2008, statut de candidat officiel accordé en 2010, et aujourd'hui 30 chapitres de négociation ouverts sur 35, dont 3 provisoirement fermés.
Tout cela dénote une forte volonté qui va au-delà d'une simple approche technique. C'est un engagement profond comme en témoignent l'alignement de vos positions sur celles de l'Union européenne en matière de politique étrangère ainsi que votre participation à plusieurs de nos opérations militaires, notamment au Mali.
Cette volonté, cet engagement ne doivent pas faiblir. Mais il ne faudrait pas confondre rapidité et précipitation.
Il y a encore beaucoup de chemin à faire entre ouvrir des chapitres de négociation et les fermer, entre entamer des réformes et les faire aboutir, notamment dans les domaines cruciaux de la réforme judiciaire, de la lutte contre le crime organisé et la corruption, et du respect de l'indépendance des médias. Sur ce dernier point, je ne peux qu'insister que ce quatrième pouvoir qui est celui d'une presse et de medias indépendants est un pilier de nos valeurs, auxquelles nous attachons une grande importance.
Je vous félicite d'avoir su mettre en place le cadre législatif nécessaire pour établir un état de droit solide. Mais maintenant, et maintenant plus que jamais, la Commission, ainsi que les Etats membres, vont suivre de près l'évolution de la mise en œuvre effective des réformes entamées.
Votre objectif c'est l'adhésion à l'Union européenne. La vitesse à laquelle vous l'atteindrez dépendra évidemment de vos réponses à des questions dont je mesure l'aspect parfois inconfortable. Il y a des questions qui se posent. Est-ce que les reformes judiciaires sont conséquentes, par exemple dans le cas d'affaires de blanchiment d'argent ? Est-ce que la lutte contre la corruption sera menée dans un cadre apolitique et neutre ? Et qu'en sera-t-il de l'indépendance des médias ? Ce ne sont pas de questions qui s'adresseraient particulièrement au Monténégro mais c'est des questions qui s'adressent à tous les pays candidats et parfois, je dois l'avouer, à quelques Etats membres actuels de l'Union européenne.
Pour que ces réformes, celles que j'ai mentionnées, se traduisent par des changements réels et irréversibles, vous pouvez compter sur le meilleur des encouragements qui soit, celui qui vient de vos citoyens eux-mêmes.
Ils sont les premiers à vous demander des réformes, des réformes indispensables, pour créer un environnement propice aux investissements, à l'essor de vos entreprises, au développement de vos atouts économiques et humains, et donc à la création d'emplois et de croissance.
Et ce sont eux, les citoyens, qui sont les premiers à bénéficier dès aujourd'hui du processus d'adhésion à l'Union européenne et du soutien que nous pouvons vous apporter sur ce chemin.
Je ne prendrai qu'un seul exemple, celui de l'amélioration des infrastructures régionales dans les secteurs de l'énergie et des transports.
C'est un domaine auquel nous accordons beaucoup d'importance et beaucoup de moyens financiers. Pour les Balkans occidentaux, 20 projets ont déjà été approuvés ces trois dernières années auxquels l'Union européenne a contribué à hauteur de 500 millions d'euros. Cela a permis de générer dans la région 1,3 milliards d'euros en termes d'investissements.
Le Monténégro est un des principaux bénéficiaires de ce vaste programme de connectivité, que ce soit pour la modernisation des réseaux de transport, comme par exemple la ligne Belgrade-Podgorica-Bar, ou le développement des interconnexions énergétiques, notamment avec le grand projet d'interconnexion électrique lancé à l'été 2017 qui reliera la Roumanie, la Serbie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine et l'Italie et qui est une pièce maîtresse dans la création d'un marché régional de l'électricité. La Commission a apporté 25 millions d'euros à la réalisation de ce projet - 25 millions qui en fait devront générer des investissements à hauteur de 127 millions.
Pour moi, de tels projets sont une véritable priorité car nous contribuons ainsi au développement économique, à la création d'emploi, à la sécurité énergétique aussi. Mais nous contribuons surtout à l'intégration régionale en tissant des liens chaque jour plus étroits entre les peuples d'Europe. Et l'Union européenne c'est avant tout cela: une Union des peuples d'Europe.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Chers invités d'honneur,
Le Monténégro est un jeune pays à l'histoire ancienne, et je sais que vous êtes de ceux à qui l'histoire a appris qu'il ne faut jamais se détourner des difficultés mais qu'il faut les affronter. Il faut savoir prendre en main son destin au lieu de le subir. Il ne faut pas subir l'histoire - il faut la faire. Et nous partageons la même conviction, à savoir que votre destin est clairement dans l'Union européenne. Je suis convaincu et confiant que vous saurez surmonter les difficultés pour le réaliser, dans notre intérêt européen commun.
Vive le Monténégro et vive l'Europe !
SPEECH/18/1345