Barroso ontvouwt visie op patstelling rond Europese Grondwet voor Europees Parlement (fr)

woensdag 14 juni 2006

José Manuel Barroso

Président de la Commission européenne 

1.

Discours du Président Barroso au Parlement européen en vue du Conseil européen des 15 et 16 juin 2006 

Parlement européen

Strasbourg, 14 juin 2006

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les députés,

Un an après le début de la période de réflexion, il est temps de faire le point. Où en sommes-nous? Que pouvons-nous faire pour faire avancer l'Europe? Que peut-on attendre du Conseil européen?

Je commencerai en vous disant qu'un spectre hante l'Europe: celui de l'europessimisme. Si nous avions déjà l'eurosepticisme traditionnel de ceux qui n'ont jamais voulu de l'Europe comme projet politique, nous avons aujourd'hui le pessimisme de ceux qui se veulent des Européens convaincus et qui sombrent très souvent dans un état de "crisophilie", chacun voulant montrer aujourd'hui qu'il connaît mieux que l'autre les causes de la crise profonde que traverse l'Europe.

Quelle est la cause de cet europessimisme? Dans une large mesure, c'est l'ombre des référendums négatifs dans deux de nos États membres. Cette ombre a projeté des doutes sur l'Europe et sur la capacité de l'Europe à définir un projet de vie en commun. C'est une des raisons pour lesquelles il nous faut trouver une solution à la question constitutionnelle. Je tiens à le dire sans aucune ambiguïté. A la Commission européenne, nous sommes en faveur des principes, des valeurs et de la substance du traité constitutionnel.

La question est de savoir, tout d'abord, pourquoi nous avons besoin de ce texte constitutionnel. Que perd-on si on n'a pas de traité constitutionnel? On perd une clarification des compétences entre les différents niveaux, on perd l'extension de la codécision et l'extension du vote à la majorité qualifiée, on perd la Charte des droits fondamentaux juridiquement contraignante, on perd un ministre des Affaires étrangères de l'Union qui serait en même temps le vice-président de la Commission, on perd une action plus efficace dans des domaines comme la santé publique, la sécurité alimentaire, voire l'énergie, parce que la Constitution élargissait les compétences dans ce domaine. On perd aussi un supplément de cohérence sur le plan extérieur.

Et sur ce point, je tiens à vous le dire - l'expérience d'une année et demie comme Président de la Commission le confirme -, nous avons absolument besoin, en Europe, de ce que le traité constitutionnel apportait sur le plan extérieur: plus d'efficacité, plus de démocratie, plus de cohérence.

Les traités actuels ne nous permettent pas d'atteindre pleinement tous ces objectifs. Soyons clairs, Nice ne suffit pas.

La question est de savoir comment dépasser cette situation. Est-ce qu'on arrive à régler ce problème en parlant tous les jours de la Constitution? Est-ce qu'on arrive à régler ce problème en se limitant à une approche pragmatique? Je dis non, je dis qu'il faut éviter deux pièges. D'abord, le piège qui consisterait à dire, comme certains le veulent, la Constitution est morte, faisons des choses purement concrètes: ce serait un danger pour l'Europe. Par ailleurs, ce serait aussi un danger pour l'Europe, je tiens à vous le dire, si on se laissait maintenant enfermer dans un débat purement institutionnel ou constitutionnel, si on prétendait que maintenant on est bloqué en attendant la solution constitutionnelle.

C'est pourquoi nous devons avancer sur deux niveaux, comme nous le disons dans notre document du 10 mai à propos de la double track approach. Au premier niveau, une Europe des résultats, une Europe des projets concrets, mais - et on en vient au deuxième niveau - une Europe des résultats qui ne s'oppose pas, qui n'est pas une alternative à l'Europe politique, et qui est, au contraire, une condition pour avoir l'adhésion des citoyens à l'Europe comme grand projet politique. Donc, ce n'est pas une question de choix entre l'Europe des résultats et l'Europe institutionnelle, c'est la question de choisir les deux. Nous avons besoin d'une Europe des projets, des résultats, pour avoir un grand projet pour l'Europe.

Quelle est l'Europe des résultats qu'on propose? Nous avons déjà quand même obtenu certains résultats. C'est pourquoi je ne peux pas être d'accord avec tous ceux qui disent que l'Europe est complètement en panne. Je crois que, involontairement, ils renforcent cette situation de crise. Je comprends que les analystes doivent le dire, mais en tant que dirigeants politiques, nous avons une responsabilité. Pensez-vous vraiment que l'on va redonner confiance aux citoyens simplement avec des messages négatifs? Non! Pour faire avancer l'Europe, il faut renouer avec l'espoir, avec la confiance et montrer des avancées.

La vérité, c'est que même après les deux référendums négatifs, nous avons pu régler la question budgétaire pour les sept années à venir, et cela pour vingt-sept pays. Nous avons quand même pu, grâce à la collaboration du Parlement européen, trouver une solution politique au problème tellement controversé de la directive sur les services. Nous avons quand même pu relancer la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi. Nous avons lancé - chose impensable il y a deux ans - une stratégie commune pour l'énergie en Europe. Donc, continuons à progresser sur la base de projets concrets. Arrivons à des résultats pour créer le bon moment pour traiter la question institutionnelle.

Dans notre document du 10 mai, nous faisons des propositions concrètes. Sans vouloir entrer une nouvelle fois dans les détails de ces propositions, j'en rappellerai quelques-unes. Voir ce qui ne marche pas dans le marché unique pour défendre les consommateurs en Europe. Voir quels sont les obstacles qui demeurent à la pleine réalisation du grand marché européen. Faire le bilan de notre domaine social: quels sont les obstacles à une Europe plus solidaire? En même temps qu'on avance sur la question du marché, on doit avancer sur la question du social. Sur la base des traités existants, opérer des avancées en matière de justice, de coopération, de lutte contre le terrorisme et la criminalité. Il est possible, sur la base des traités actuels, de faire plus en matière d'immigration, de lutte contre l'immigration illégale, tout en réglant les questions de la migration légale. C'est une question majeure. Si les États membres veulent faire plus, ils peuvent le faire sur la base même des traités. Donc, ce n'est pas simplement une question institutionnelle, c'est aussi une question de volonté politique. Faisons donc des progrès en matière de justice et de sécurité. Ce sont des domaines dans lesquels les citoyens européens demandent aux États membres de faire plus, car il est évident aujourd'hui qu'on ne peut pas lutter contre le terrorisme, qu'on ne peut pas faire face aux défis de la migration illégale chacun de son côté: il faut travailler ensemble.

On peut faire beaucoup plus aussi dans le domaine de la dimension extérieure. La bonne solution est celle qui est dans la Constitution: un ministre des Affaires étrangères, vice-président de la Commission. Il faut mettre ensemble nos capacités, nos ressources sur le plan extérieur, mais puisqu'on n'a pas encore de Constitution, la Commission a présenté, il y a quelques jours, un document contenant des propositions concrètes pour renforcer l'efficacité, la cohérence et la visibilité de l'Union européenne sur le plan extérieur. Par ailleurs, nous avons fait des propositions importantes en matière de subsidiarité, de transparence, de better regulation pour l'Europe.

Il y a là un ensemble de projets concrets, sans parler des deux grands domaines qui, je crois, projettent l'Europe dans son futur: l'énergie, suite au Livre vert que nous avons présenté, et la recherche. Ce sont deux grandes priorités.

La vérité est que notre budget consacré à la recherche est en augmentation de 60% pour les sept prochaines années comparé à la période précédente. C'est pourquoi, nous avons fait la proposition de créer un Institut européen de technologie, sur la base d'un réseau, pour donner une vocation européenne à nos réalisations en matière de recherche et attirer les meilleurs chercheurs du monde. Pourquoi, aujourd'hui, les meilleurs chercheurs européens sont-ils aux États-Unis? Pourquoi ne sommes-nous pas capables d'attirer ici, en Europe, les meilleurs chercheurs chinois, indiens, latino-américains ou américains? Nous avons également besoin d'un projet emblématique pour mobiliser nos capacités en matière de recherche.

Donc, mobilisons-nous autour de certains projets concrets qui peuvent redonner de la confiance en Europe: c'est l'Europe des projets. Mais l'Europe des projets ne suffit pas, il nous faut aussi régler la question institutionnelle. Que proposons-nous à ce sujet? Nous proposons de passer à présent de la période dite de réflexion à une période d'engagement.

La première étape importante, c'est l'année prochaine où nous célébrons le 50e anniversaire de la Communauté européenne, le 50e anniversaire du traité de Rome. Je ne crois pas que les chefs d'État et de gouvernement puissent laisser passer le 50e anniversaire de notre Union sans s'engager dans ce projet de vie en commun. Il y a deux possibilités: soit on fait une déclaration tournée seulement vers le passé, autrement dit une simple commémoration, soit on fait une déclaration tournée vers l'avenir, une forme de renouvellement de notre engagement en faveur de notre projet de vie en commun.

En ma qualité de Président de la Commission, je crois que j'ai le devoir de demander aux chefs d'État et de gouvernement, qui sont les actionnaires de nos projets, de renouveler leur engagement. Je crois que vous aussi, en tant que membres du Parlement européen, vous aurez le droit de demander à nos chefs d'État et de gouvernement s'ils veulent s'investir dans ce projet de vie en commun qui est, aujourd'hui plus que jamais, nécessaire dans ce monde globalisé. C'est ce que nous allons faire.

C'est pourquoi j'ai proposé une déclaration qui ne soit pas simplement une nouvelle déclaration de Messine. Vous vous rappelez la déclaration de Messine, après l'échec de la Communauté européenne de défense; c'est elle qui a permis de relancer l'Europe et qui a permis, par la suite, la création de la Communauté économique européenne. Elle a été signée par les ministres des Affaires étrangères. Aujourd'hui ce n'est plus possible. Je l'ai déjà dit. L'Europe ne sera pas bureaucratique, ni technocratique, ni simplement diplomatique: l'Europe doit être démocratique. C'est pourquoi il faut engager toutes les institutions de l'Europe et c'est pourquoi je propose que cette déclaration soit signée non seulement par les chefs d'État et de gouvernement, mais aussi par la Commission et par le Parlement européen, qui a une position centrale aujourd'hui dans le processus de construction européenne.

Si nous y parvenons, en y mettant toute notre énergie, nous aurons l'année prochaine une occasion de relancer le processus de constitution européenne, de construction d'une Europe qui soit une Europe élargie, ce qui implique un débat sur l'élargissement.

Je ne crois pas à une Europe miniature, je ne crois pas à une Europe divisée à plusieurs vitesses, je ne crois pas que la réponse face à la situation actuelle, face aux difficultés que l'Europe connaît, soit de dire "Divisons-nous". Allons-nous laisser quelques-uns faire une Europe plus avancée tout en laissant les autres à la traîne? Je ne crois pas.

Je crois que notre devoir est de faire tout ce qui est possible pour que l'Europe élargie fonctionne. Et je vous le dis avec une certaine expérience déjà. Si je compare avec ce qui se passait en 1992, par exemple, quand on négociait avec nos partenaires américains, chinois, russes, ou autres, je peux vous dire qu'aujourd'hui, l'Europe est plus respectée en dehors de ses frontières qu'elle l'était auparavant. L'Europe élargie, c'est une condition de l'Europe puissance.

Ayons un débat sur l'élargissement. Nous reconnaissons qu'il y a des doutes dans certaines de nos opinions publiques sur le rythme et sur l'importance de l'élargissement. Ayons un débat sur la capacité d'absorption, mais en mettant en avant la valeur ajoutée que l'élargissement a déjà représenté pour l'Europe.

C'est cette Europe-là que j'appelle de tous mes voux. Une Europe élargie, une Europe ouverte, une Europe plus compétitive, une Europe qui est bien plus qu'un marché, une Europe qui a un projet politique, et un projet politique qui s'appuie sur l'idée de solidarité parce que sans solidarité, l'idée même d'Union n'existe pas. C'est cela le grand projet pour l'Europe du XXIe siècle. Pas une Europe fermée, pas une Europe réduite, miniature, mais une grande Europe élargie qui soit capable de façonner la mondialisation, au lieu d'en subir les conséquences.

Tel est le grand projet pour l'Europe. Pour le réaliser, il est essentiel que les responsables politiques sortent du cercle vicieux de l'europessimisme et puissent commencer à construire le cercle vertueux de la confiance, avec des résultats concrets, certes, mais aussi avec cette grande vision de notre grande Europe.