Discours par Michel Barnier au Trends Manager de l'année 2017

Met dank overgenomen van Europese Commissie (EC) i, gepubliceerd op dinsdag 9 januari 2018.

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de vous présenter à mon tour mes vœux pour cette nouvelle année.

Pour la négociation dont je suis chargé, et qui concerne aussi beaucoup de vos entreprises, 2018 sera une année décisive.

Charles Michel le sait bien, et je souhaite personnellement le remercier, ainsi que son gouvernement, pour son soutien vigilant et sa confiance personnelle dans cette négociation.

Je veux aussi remercier le groupe Roularta et les rédactions de Trends et Trends-Tendances, de m'avoir invité à m'exprimer.

Et je suis heureux de le faire ici, en Belgique, qui entretient depuis longtemps des liens commerciaux et politiques étroits avec le Royaume-Uni.

Il fut une époque où la prospérité de l'Angleterre dépendait du commerce de la laine, notamment avec les Flandres. Une simple réduction de l'approvisionnement en fil de laine anglaise ou écossaise pouvait compromettre l'activité des milliers d'artisans flamands.

Et quelques siècles plus tard, c'est un Anglais, William Cockerill, qui importa les premières machines à filer la laine à Verviers, en 1799, puis la machine à vapeur à Seraing, ce qui a fait de Liège le point de départ de la révolution industrielle sur le continent.

Aujourd'hui, le Royaume-Uni reste pour votre pays un partenaire important, qui représente 7 % du commerce belge de marchandises.

Mais en même temps, 68 % de votre commerce se fait avec les autres Etats membres de l'Union européenne. Près de 10 fois plus !

Ainsi, ce qui fait la force de nos économies en Europe, c'est le marché unique, que les Britanniques connaissent bien puisque c'est la première raison de leur adhésion à la CEE en 1972.

Notre marché unique comptera toujours 440 millions de consommateurs et 22 millions d'entreprises après le départ du Royaume-Uni.

Au-delà de la facilité à échanger entre nous, il aide nos entreprises à réussir dans la compétition internationale, grâce à notre pouvoir collectif de négociation et à nos normes et standards qui sont souvent repris dans le monde entier.

Voilà pourquoi, dans cette négociation, l'un de nos fils conducteurs est de maintenir l'intégrité du marché unique, qui est notre bien communet qui n'est pas, et ne sera pas négociable.

Mais, naturellement, à côté de notre marché domestique européen, le Royaume-Uni restera un marché important pour beaucoup d'entre vous, et je comprends les inquiétudes qui s'expriment ici et partout en Europe sur les conséquences d'un Brexit que nous n'avons pas souhaité.

Depuis le premier jour de cette négociation, je pose et je me pose trois questions. Et c'est de la réponse à ces trois questions que découleront la force et la forme de notre future relation.

I - Le Royaume-Uni veut-il un retrait ordonné plutôt qu'un retrait désordonné et est-il prêt à assumer les conséquences immédiates de son choix de quitter l'Union européenne ?

Sur cette première question, nous avons obtenu une réponse positive. Le 8 décembre dernier, nous avons trouvé avec le Royaume-Uni un accord qui constitue un pas important dans la direction d'un retrait ordonné.

Autrement dit, nous nous sommes éloignés du risque d'un retrait désordonné, même si nous devons rester prêts à faire face à toutes les options.

Cet accord porte sur les trois sujets les plus urgents de cette négociation :

  • 1) 
    Les droits des citoyens, qui sont notre priorité et celle du Parlement européen. Il y a 30 000 Belges au Royaume-Uni et 27 000 Britanniques en Belgique. 4,5 millions de personnes sont concernées au total. Notre accord garantie leurs droits, pour toute leur durée de vie.
  • 2) 
    L'Irlande, dont la situation unique appelle des solutions spécifiques pour éviter le retour d'une frontière physique.
  • 3) 
    Enfin, sur le règlement financier, tous les engagements pris à 28 seront honorés à 28.

Sur la base de notre rapport conjoint, le Conseil européen a constaté les "progrès suffisants", qui permettent d'ouvrir les discussions sur une éventuelle période de transition et sur le cadre de notre relation future.

C'est l'objet de ma deuxième question.

II - Quel type de relation future le Royaume-Uni souhaite-t-il avec l'Union européenne ?

Sur ce point, nous n'avons pas encore de réponse mais nous pouvons procéder par déduction, sur la base de l'ordre juridique de l'Union et des lignes rouges du Royaume-Uni. En posant officiellement ces lignes rouges, le Royaume-Uni ferme lui-même les portes, une par une.

Le gouvernement britannique souhaite mettre fin à la libre circulation des personnes, qui est indivisible des trois autres libertés. Il a donc indiqué son intention de sortir du marché unique.

Le gouvernement britannique veut retrouver son autonomie de négociation d'accords internationaux. Il a donc confirmé son intention de sortir de l'Union douanière.

Le Royaume-Uni ne veut plus reconnaitre la juridiction de la Cour de justice de l'Union européenne qui garantit l'application de nos règles communes.

Dès lors, le seul modèle disponible est celui d'un accord de libre-échange, qui pourrait permettre d'éviter des barrières aux échanges, comme les droits de douanes, et faciliter les procédures douanières et la certification des produits.

Cet accord sera bien sûr adapté aux spécificités de la relation entre l'Union et le Royaume-Uni, de la même manière que notre accord avec le Canada n'est pas identique à nos accords avec la Corée ou le Japon.

Mais une chose est claire : un accord de libre-échange, aussi ambitieux soit-il, ne peut pas inclure tous les bénéfices de l'Union douanière et du marché unique.

Par exemple, en matière de services financiers, un accord de libre-échange peut inclure des dispositions sur la coopération réglementaire - c'est le cas avec le Japon. Cette coopération réglementaire peut aussi prendre la forme d'un dialogue régulier comme celui que nous avons avec les Etats-Unis.

Mais jamais nous n'avons renoncé à notre autonomie de décision pour tout ce qui touche à la régulation.

Le cadre réglementaire que nous avons bâti à 28, avec le Royaume-Uni, pour tirer les leçons de la crise financière est extrêmement précis. Nous avons créé un single rulebook et une supervision européenne plus intégrée qui garantissent la stabilité financière, la protection des investisseurs, l'intégrité des marchés et un level playing field.

Un pays qui sort de ce cadre très précis et de sa mise en œuvre homogène et intégrée par les autorités nationales se donne la possibilité de diverger mais il perd du même coup les bénéfices du marché intérieur.

Ses prestataires de services financiers ne peuvent plus bénéficier d'un passeport dans le marché unique, ni d'un système d'équivalences généralisées des normes.

Il n'y a là ni punition ni revanche ; simplement le fait que nous voulons rester maîtres de nos règles et de la façon dont elles sont mises en œuvre. Le Royaume-Uni, qui veut retrouver son autonomie de décision, devra respecter la nôtre.

Lorsque notre législation le prévoit, nous aurons la possibilité de considérer certaines règles du Royaume-Uni comme équivalentes, en nous fondant sur une approche proportionnée et basée sur le risque, notamment pour la stabilité financière, qui restera notre première préoccupation.

N'ayons pas la mémoire courte : la crise financière n'est pas si lointaine. Elle a couté cher. Elle a détruit de la valeur et des millions d'emplois, et provoqué beaucoup de souffrances sociales.

Mesdames et Messieurs,

Nous attendons du Royaume-Uni qu'il nous confirme, dans les tous prochains mois, que nous travaillerons dans la perspective d'un accord ambitieux de libre-échange et qu'il nous indique les autres domaines dans lesquels il souhaite coopérer.

De notre côté, nous pensons, à côté du commerce, que notre partenariat devrait comprendre la sécurité, la défense et la politique étrangère, mais aussi la justice et les affaires intérieures et certains secteurs comme l'aviation ou la pêche.

Quel que soit le cadre exact de notre future relation - qui sera décrite dans une déclaration politique en octobre, au moment où nous finaliserons notre accord de retrait - nous devrons laisser le temps aux entreprises et aux administrations publiques de s'y préparer.

C'est l'objectif de la période de transition qui a été demandée par le Royaume-Uni et pour laquelle la Commission a proposé aux Etats membres une durée de 21 mois, entre le retrait du Royaume-Uni le 29 mars 2019 et le 31 décembre 2020.

Cela dit, la véritable période de transition a déjà commencé. Ma responsabilité c'est de vous dire la vérité.

Une relation commerciale avec un pays qui n'appartient pas à l'Union européenne comporte nécessairement des frictions. Par exemple pour les déclarations de TVA. Ou pour l'importation d'animaux vivants et des produits d'origine animale, qui sont soumis à des contrôles systématiques à la frontière de l'UE quand ils viennent de pays tiers.

Pour le port de Zeebrugge, que j'ai visité il y a quelques mois avec le ministre-président Geert Bourgeois et dont le Royaume-Uni est le premier marché, le maintien d'une organisation extrêmement efficace exige une préparation méthodique.

Il est donc important que chaque entreprise analyse avec lucidité son exposition au Royaume-Uni et soit prête à adapter ses circuits logistiques, sa chaîne d'approvisionnement et ses clauses contractuelles, y compris dans le domaine des services financiers.

Mesdames et Messieurs,

Dans le cadre de cette clarification que nous attendons du Royaume-Uni, il y a une troisième question.

III - Le Royaume-Uni veut-il rester proche du modèle réglementaire européen ou s'en éloigner ?

C'est une décision importante, car il y a derrière le cadre réglementaire européen des choix de société fondamentaux auxquels nous tenons : notre économie sociale de marché, la protection de la santé, la sécurité alimentaire, une régulation financière juste et efficace.

Il n'y aura pas de partenariat ambitieux sans un terrain d'entente en matière de concurrence loyale, d'aides d'État, de garanties contre le dumping fiscal et de normes environnementales et sociales. Je sais Marianne Thyssen particulièrement vigilante sur la nécessité d'un level playing field, comme le Président Juncker, le Parlement européen et les Etats membres.

Parce que, pour la première fois dans l'histoire de nos relations commerciales, il s'agira non pas d'encourager la convergence mais de maîtriser la divergence.

Cette question est également importante politiquement puisque les futurs accords avec le Royaume-Uni seront très probablement des accords mixtes qui exigent, au-delà du Parlement européen, la ratification des 27 parlements nationaux et sans doute de certains parlements régionaux.

Mesdames et Messieurs,

Nous avons travaillé depuis un an dans l'unité. C'est ensemble que nous posons ces questions. Et c'est ensemble, à 27, que nous continuerons à avancer.

Cette unité, nous en avons besoin dans cette négociation. Mais nous en avons surtout besoin pour réformer l'Europe et pour relever les défis d'aujourd'hui :

  • En bâtissant, à côté de l'Union bancaire, une véritable union des marchés de capitaux ;
  • En investissant en commun dans la recherche, l'innovation, les technologies. C'est le sens du plan Juncker.
  • En continuant à bâtir une "Europe globale" qui s'apprête à ouvrir à nos entreprises de nouvelles opportunités d'exportations, en Australie ou en Nouvelle-Zélande.
  • En bâtissant aussi une défense européenne comme la Commission européenne l'a souhaité, en proposant un Fonds européen de la défense et une coopération structurée permanente.

Le Premier ministre Charles Michel le disait la semaine dernière dans Trends/ Tendances : nous avons besoin en Europe de dirigeants qui donnent des impulsions politiques. C'est le moment d'un nouveau volontarisme, et ce nouveau volontarisme va bien au-delà du Brexit.

SPEECH/18/85