Remarques par le commissaire Moscovici sur une prise de décision plus efficace et démocratique en matière de politique fiscale de l'UE
Bonjour à toutes et à tous.
Le Collège vient d'adopter une communication importante politiquement, proposant un passage progressif - j'insiste sur le mot progressif - vers le vote à la majorité qualifiée dans le domaine de la fiscalité.
Concrètement, que proposons-nous ?
Nous prenons acte du fait que la fiscalité est devenue un thème absolument central du débat public européen et un enjeu mondial pour nos entreprises et nos Etats. Nous invitons les Etats membres à engager le débat sur le moyen de décider plus efficacement dans ce domaine sensible et stratégique.
Comment ? En recourant progressivement au vote à la majorité qualifiée. Il existe en effet, à l'article 48 paragraphe 7 du Traité sur le fonctionnement de l'Union, une « clause passerelle » qui permet de faire passer les domaines dans lesquels les décisions sont prises à l'unanimité au Conseil à la procédure législative ordinaire.
L'activation de cette clause juridique pour certains sujets permettrait :
de recourir au vote à la majorité qualifiée, dans le cadre des compétences du Traité - j'y insiste - et dans le plein respect du principe de subsidiarité et des compétences des Etats membres.
Et de renforcer le rôle du Parlement européen dans la prise de décision, ce qui serait une conquête démocratique.
Pour activer cette clause, il faut, vous le savez, l'accord unanime du Conseil européen, après consultation des parlements nationaux et approbation du Parlement européen. Nous ouvrons donc un débat politique pour parvenir à convaincre les Etats membres que c'est dans leur propre intérêt et celui de tous les citoyens de passer progressivement à la majorité qualifiée.
Pourquoi proposons-nous cela ? Pour 4 raisons simples.
Premièrement, parce que cela va dans le sens de l'histoire européenne. Le moment est venu de tirer les leçons de 60 années d'action sur la base des Traités.
Dès la signature du Traité de Rome en 1957, les Etats membres ont décidé de partager leur souveraineté sur quelques aspects de la fiscalité, nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur.
La fiscalité est restée un des derniers bastions de l'unanimité, alors que le vote à la majorité qualifiée est à peu près devenu la norme au sein de l'UE, même pour des problématiques aussi sensibles que la fiscalité, comme la coopération policière ou encore la coopération judiciaire en matière civile et pénale. Cela a pris du temps, mais tout le monde est désormais convaincu que c'était la bonne décision pour protéger les Etats et l'Union contre le crime organisé ou le terrorisme.
Nous pensons que le moment est venu de regarder la fiscalité avec la même perspective historique, politique et juridique. Les temps ont changé et notre processus législatif doit s'adapter.
Deuxième raison, parce que ce vote à la majorité qualifiée représenterait un gain d'efficacité et de réactivité pour l'Union européenne. C'est la leçon que je tire personnellement de 4 années d'action action en matière fiscale.
En 4 ans, c'est vrai et j'en suis très fier, nous avons réussi à faire adopter 14 directives dont 8 de lutte contre la fraude et l'optimisation fiscale -la plupart à l'unanimité et parfois en des temps records. Ce qui fait que certains ministres me disent: pourquoi voulez-vous le vote à la majorité qualifiée puisque vous avez déjà fait tellement? Non, parce qu'en réalité ce qui nous a aidé puissamment c'est le fait que chaque fois qu'un nouveau scandale fiscal était révélé par les médias, la Commission avait réagi en proposant une nouvelle législation et les Etats membres étaient sous la pression des médias et de l'opinion publique. Mais aussi parce que plusieurs d'entre elles étaient la transposition des accords BEPS, négociés à l'OCDE par les Etats membres sous la guidance du G20.
Je suis très fier et nous pouvons être collectivement être très fiers de ce bilan. Nous en avons plus fait en 4 ans qu'au cours des 20 dernières années, et l'Union européenne joue désormais un rôle de leader mondial sur les questions de bonne gouvernance fiscale.
Mais reconnaissons aussi que sans la pression des scandales, ces accords n'auraient pas eu lieu aussi rapidement. Reconnaissons également que 7 directives importantes sont encore bloquées au Conseil. Ce sont des réformes structurantes pour le marché intérieur - je pense à la TVA intra-européenne, à l'assiette commune pour les multinationales, à la fiscalité du numérique - et que la pression de l'opinion publique sur les gouvernements est moins forte.
Cela vaut aussi pour les politiques sectorielles de l'Union européenne, que l'unanimité prive de facto du levier fiscal. Je pense à la fiscalité de l'énergie, où faute d'accord entre les Etats sur des mesures fiscales incitatives depuis 2011, nous restons avec un cadre juridique qui date de 2003 et qui est totalement en contradiction avec les objectifs de l'Union en matière d'environnement et de lutte contre le changement climatique, alors que nous voulons en être les champions.
J'ajoute que cette incapacité à décider collectivement a un coût, pour les citoyens, pour les entreprises. Deux chiffres :
En l'absence d'un accord sur la TVA intra-communautaire, chaque année, ce sont 147 milliards d'euros de TVA qui ne sont pas collectés, dont 50 milliards en raison de la seule fraude transfrontalière.
Deuxièmement, la mise en place d'une assiette consolidée d'impôt des sociétés permettrait de faire gagner 1,2% de croissance à l'UE et d'économiser plus d'un milliard de coûts administratifs à nos entreprises, qui sont toujours confrontées, c'est absurde, à 28 règles comptables différentes.
Troisième raison : l'unanimité ne protège plus la souveraineté fiscale des Etats membres. Le débat que nous ouvrirons avec cette communication permettra de soulever une question institutionnelle et politique profonde : quelles sont les menaces qui pèsent aujourd'hui sur la souveraineté fiscale des Etats membres ?
Est-ce que c'est l'harmonisation des taux? La réponse est très claire. Non, nous ne proposons pas l'harmonisation des taux. Nous n'avons pas la compétence. C'est hors du débat.
Est-ce que c'est un transfert de compétences fiscales des Etats membres vers l'Europe ? Non plus. Il faudrait pour cela un nouveau traité et la ratification de tous les Etats.
Non, la menace, c'est d'abord la planification fiscale des entreprises, l'érosion des assiettes fiscales et les pertes de recettes qui en découlent, les développements technologiques, la fraude transfrontalière ou encore la criminalité organisée. Ce sont là les vraies menaces qui pèsent aujourd'hui sur les régimes fiscaux nationaux.
L'unanimité n'est plus un rempart mais un obstacle: il faut passer de la souveraineté nationale étroite à une souveraineté européenne partagée. Voilà le sens du débat que nous lançons.
Quatrième et dernière raison : parce que le passage à la procédure ordinaire renforcerait la légitimité démocratique des décisions fiscales de l'Union, devant ses citoyens et ses entreprises. Aujourd'hui, le Parlement européen où nous nous trouvons joue un rôle politique important, comme on le voit avec les différents comités sur la fiscalité, TAXE I, TAXE II, TAXE III, et le rôle efficace et actif de ses rapporteurs. Mais il est simplement consulté sur les propositions de la Commission. Demain, si ce que nous proposons voit le jour, il pourrait être co-législateur - là encore, je crois que cela va dans le sens de l'histoire.
The Commission is today outlining a realistic path towards qualified majority voting in areas of tax policy. I do not want to trigger some “Pavlovian” negative reactions in some Member States. This debate should allow the Commission to make the case for a reasonable, cautious and, hopefully and necessarily, unanimous way forward.
We propose to make this transition first for the most obvious, urgent, consensual matters and to gradually broaden the scope. We are aware of sensitivities, which are sometimes extreme, and we want to move forward together with our Member States, not against them.
I want to be very clear also on what this Commission is not about. It is not about creating new competences, new taxes, new revenue or harmonising tax rates.
Instead, it is an invitation to discuss how we respond to the expectations of European citizens in tax matters - more effectively, more democratically and in a way that safeguards sovereignty in a meaningful rather than a symbolic way.
Again, times have changed! Holding tight to unanimity to protect national tax regimes against EU harmonisation or other EU countries is based on myth, it is not a reality. Only qualified majority voting can help our Member States to face today's challenges. To conclude, I would observe that the latest Eurobarometer survey indicates that 74% of Europeans believe the fight against tax evasion and tax fraud must be priority areas for EU action. And this is the most pressing request from EU citizens and that is why we have made these two themes the first step in our proposed roadmap.
We are on the eve of the European elections, we must send our citizens a strong signal that Europe is not a problem but a solution. By gradually breaking the lock of unanimity in tax matters, I am quite certain that we can give them the sort of "concrete proof of Europe" that they expect from us.
SPEECH/19/430